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La protection des écosystèmes

La protection des écosystèmes pour une meilleure reconnaissance des droits des peuples autochtones: le cas de la nation Wampis


Maxima Acuna Atalaya, militante des droits fonciers autochtones du Pérou, a dû faire face à l’intimidation de l’une des plus grandes entreprises minières aurifères au monde, qui a tenté de la forcer à quitter ses terres pour pouvoir les exploiter[1]. Tout comme Maxima, les Wampis, peuple autochtone résidant dans des forêts tropicales du nord-est de l’Amazonie péruvienne, sont régulièrement menacés par les activités extractives de pétrole et de minerais. L’emplacement de ces populations compromet les intérêts économiques des gouvernements, groupes mafieux ou entreprises internationales implantées dans la forêt amazonienne, tels qu’Occidental Petroleum, Talisman Energy et Petroperu[2].

À travers leur gouvernement territorial autonome (GTANW) créé depuis 2015, les Wampis luttent pour la préservation de leur écosystème, lequel contribue de manière significative à atténuer les effets du changement climatique en captant 522 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2)[3]. La biosphère des forêts tropicales est déjà menacée : l'oléoduc du nord du Pérou, qui traverse les territoires Wampis et Achuar, s'est déjà rompu à plusieurs reprises, provoquant d'innombrables déversements et menaçant constamment l'environnement et la sécurité de leurs communautés[4]. Les peuples autochtones font également face à l’exploitation et à la déforestation illégale. Plus de 2000 hectares de leurs terres ont été défrichés depuis mai 2022, date à laquelle le permis d’exploiter accordé aux groupes industriels par le GTANW a pris fin[5]. En juillet 2022, une lettre ouverte du gouvernement Wampis fait état de « fortes attaques de la part des mafias minières, forestières et du trafic de drogue [dans la forêt amazonienne] », plaçant la population autochtone dans une situation de « vulnérabilité et [de] risque grave pour l'intégrité physique et mentale »[6].

Les peuples autochtones sont des acteurs majeurs dans la protection des écosystèmes. À cet égard, il a été démontré que les forêts présentes sur les territoires autochtones sont mieux préservées que d’autres forêts[7]. Par exemple, les parcelles agroforestières des Wampis contribuent déjà à stocker six fois plus de CO2 que ce que prévoit l’objectif national de réduction des émissions 2021-2030[8]. Ces innovations ont notamment mené en 2021 à l’inscription de la nation Wampis au sein du registre des aires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC)[9] et de la base de données mondiale des zones protégées du Programme des Nations Unies pour l’environnement.

Les Wampis sont également actifs dans le contentieux environnemental. En 2017 déjà, une Cour d’appel venait interdire le forage du Bloc pétrolier n°116[10] au titre que l’exploitation aurait débuté sans qu’il n’y ait eu de consultation avec les peuples autochtones et, de surcroît, sans que leur consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) ait été recueilli. Le CPLE est nécessaire lorsque les autorités publiques envisagent l’expropriation de communautés autochtones[11] et est reconnu depuis 1994 par le Pérou avec la ratification de la Convention n°169 de l’OIT (C169). Toutefois, ce principe de droit international est souvent mis à mal car, bien que la Convention soit juridiquement contraignante, sa portée est uniquement consultative. les peuples locaux doivent être consultés, mais cela ne signifie pas qu’ils disposent d’un droit de veto en cas de désaccord[12].

De surcroît, la C169 écarte le terme « peuple autochtone » de tout régime juridique relatif à l’autodétermination : « L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications [...] quant aux droits attach[és] à ce terme en vertu du droit international »[13]. En d’autres termes, les peuples autochtones sont une catégorie à part en droit international, ne pouvant correspondre à des peuples anciennement colonisés. Ils ont à cet égard souvent été qualifiés de « Quatrième Monde »[14]. À titre d’exemple, le GTANW n’est qu’un gouvernement de facto qui contrôle une zone échappant à l’influence des autorités péruviennes. En ce sens, il se rapproche davantage d’une autorité locale avec laquelle l’État doit négocier, plutôt que d’une division administrative véritablement autonome. Dès lors, cette absence de statut juridique spécifique relatif à un droit à l’autodétermination où à la création d’institutions représentatives au pouvoir décisionnaire, les autorités gouvernementales continuent de négliger les populations natives. L’enjeu n’est pas l’absence totale de droit – les Wampis ont, à titre d’exemple, des droits fonciers et patrimoniaux – mais le manque de reconnaissance formelle de tels droits par les acteurs implantés en Amazonie, dont les activités extractives n’ont cessé de croître ces dernières années[15].

Si les Wampis ont pu constituer leur « gouvernement autonome » afin de protéger leurs terres, de nombreux autres peuples manquent d’organes représentatifs à la fois au niveau national et au sein d’organismes internationaux pour défendre leurs droits. En Asie du Sud-Est, ces communautés sont marginalisées alors qu’elles représentent les deux tiers de la population mondiale autochtone[16], soit deux cents millions de personnes. Peu d’études leur sont consacrées, les ethnies ne sont pas correctement recensées et seule une portion de ces peuples dispose d’une relative autonomie[17]. Comme le souligne Carlos Perez-Birto, spécialiste en inclusion sociale à la Banque mondiale qui s’est intéressé aux communautés philippines : « s’il n’y a pas de données, il n’y a pas d’histoire »[18].

Par Jade BELGHALI, Ismaël DIALLO, Maëlle GROSSAIN-CAMIER, Lisa GUIRADO et Nathan MICHAUD.




BIBLIOGRAPHIE

Conventions :


Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail, Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 27 juin 1989, articles 1 et 16.


Ouvrages


Katja GÖCKE, “Indigenous Peoples in International Law” dans, Brigitta HAUSER-SCHÄUBLIN (dir.), Adat and Indigeneity in Indonesia: Culture and Entitlements between Heteronomy and Self-Ascription, Göttingen: Göttingen University Press, 2013, p. 20.


Articles scientifiques :


Emily M. McCULLOCH, “Free, Prior, and Informed Consent: A Struggling International Principle”, Public Land & Resources Law Review, Vol. 44, juin 2021, p. 251.


Catherine J. IORNS, “Indigenous Peoples and Self Determination: Challenging State Sovereignty”, Case Western Reserve Journal of International Law, Vol. 24, 1992, pp. 201-202.


Articles de journaux :


Roshan KRISHNAN, “Vanguard funds indigenous rights violations in Peru’s Amazon”, Amazon Watch, 9 septembre 2022.


Andrew E. MILLER, “New Oil Company Enters Failed Block 64, Again”, Amazon Watch, 8 février 2022.


Carlos PEREZ-BRITO, “No data, no story: What the absence of Indigenous Peoples-specific data reveals”, World Bank blogs, 9 septembre 2021.


Enrique VERA, “Illegal logging and trade in fine wood threaten Wampis communities in the Peruvian Amazon”, Mongabay, 9 September 2022.


“Historic legal victory for Awajún and Wampis peoples in Peru”, Forest People Program, 22 août 2018.


« ONU reconoció al territorio de la Nación Wampís como área protegida no estatal », Nación Wampis, 28 septembre 2021.


“Proncunciamiento del GTANW en solidaridad con los hermanos awajun del cenepa”, GTAW Comunicaciones, 18 juillet 2022.


“Les rivières volantes protègent le cycle de l’eau”, United Nations Development Programme, 31 août 2022.

Rapports


“ASEAN’s Indigenous Peoples”, Asia Indigenous Peoples’ Pact, International Work Group for Indigenous Affairs & Asian Forum for Human Rights and Development, 2010, pp. 5-6.


« Autonomía de la Nación Wampís: Tarimat Pujut y la construcción del futuro común », Mouvement régional pour la terre et le territoire, septembre 2017.


“Forest Governance by Indigenous and Tribal People. An Opportunity for Climate Action in Latin America and the Caribbean”, FAO et FILAC, 2021 Santiago, pp. 26-28.


Site internet

“Indigenous peoples”, Amnesty International. Consulté le 27 novembre 2022.

[1] “Indigenous peoples”- Notre traduction, « Les peuples autochtones », Amnesty International, < https://www.amnesty.org/fr/indigenous-peoples/ > [2] Andrew E. MILLER, “New Oil Company Enters Failed Block 64, Again”- Notre traduction, «Une nouvelle compagnie pétrolière se lance dans le bloc 64 qui a de nouveau échoué »,Amazon Watch, 8 février 2022 < https://amazonwatch.org/news/2022/0208-new-oil-company-enters-failed-block-64-again > [3] “Les rivières volantes protègent le cycle de l’eau”, United Nations Development Programme, 31 août 2022 <https://stories.undp.org/les-rivieres-volantes-protegent-le-cycle-eau> [4] Roshan KRISHNAN, “Vanguard funds indigenous rights violations in Peru’s Amazon”, Amazon Watch, 9 septembre 2022, < https://amazonwatch.org/news/2022/0909 > [5] Enrique VERA, “Illegal logging and trade in fine wood threaten Wampis communities in the Peruvian Amazon”- Notre traduction, « L'exploitation forestière illégale et le commerce de bois fin menacent les communautés Wampis en Amazonie péruvienne», Mongabay, 9 September 2022. < https://news.mongabay.com/2022/07/ > [6] “Proncunciamiento del GTANW en solidaridad con los hermanos awajun del cenepa”- Notre traduction, «Déclaration du GTANW en solidarité avec les frères Awajun de Cenepa», GTANW Comunicaciones, 18 juillet 2022. < https://nacionwampis.com/pronunciamiento-del-gtanw-en-solidaridad/ > [7] “Forest Governance by Indigenous and Tribal People. An Opportunity for Climate Action in Latin America and the Caribbean”- Notre traduction, «La gouvernance forestière par les populations indigènes et tribales. Une opportunité pour l'action climatique en Amérique latine et dans les Caraïbes », FAO et FILAC, 2021 Santiago, pp. 26-28. [8] Roberto ESPINOZA, “Ambición y Estrategia Climática del Gobierno Wampis” - Notre traduction, « L'ambition et la stratégie du gouvernement Wampis en matière de climat », GTANW, janvier 2020. < https://nacionwampis.com/wp-content/uploads/2021/10/.pdf > [9] « ONU reconoció al territorio de la Nación Wampís como área protegida no estatal » - Notre traduction, « Kathia CARRILLO, « L'ONU reconnaît le territoire de la Nation Wampís comme une zone protégée non étatique », Nación Wampis, 28 septembre 2021. < https://nacionwampis.com/onu-reconocio-al-territorio > [10] “Historic legal victory for Awajún and Wampis peoples in Peru”- Notre traduction, « Victoire juridique historique pour les peuples Awajún et Wampis au Pérou », Forest People Program, 22 août 2018, < https://www.forestpeoples.org/en/node/50275 > [11] Article 16, Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail, Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 27 juin 1989. « Lorsque le déplacement et la réinstallation desdits peuples sont jugés nécessaires à titre exceptionnel, ils ne doivent avoir lieu qu'avec leur consentement, donné librement et en toute connaissance de cause. » [12] Emily M. McCULLOCH, “Free, Prior, and Informed Consent: A Struggling International Principle”, Public Land & Resources Law Review, Vol. 44, juin 2021, p. 251. < https://scholarworks.umt.edu/cgi/article1744 > « [traduit de l’anglais] Il n'est pas clair que la notion de « consentement » du CPLE inclut un droit de veto. [...] La politique canadienne ne prévoit pas que la consultation des tribus soit déterminante pour la poursuite du projet, même si les communautés autochtones s'y opposent. » [13] Article 1, Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, op. cit. [14] Katja GÖCKE, “Indigenous Peoples in International Law” dans, Brigitta HAUSER-SCHÄUBLIN, Adat and Indigeneity in Indonesia : Culture and Entitlements between Heteronomy and Self-Ascription- Notre traduction, «Les peuples autochtones dans le droit international » dans, Brigitta HAUSER-SCHÄUBLIN, Adat et Indigénéité en Indonésie : Culture et droits entre hétéronomie et auto-inscription, Göttingen: Göttingen University Press, 2013, p. 20. [15] “Vanguard funds indigenous rights violations in Peru’s Amazon”- Notre traduction, « Vanguard finance des violations des droits des autochtones en Amazonie péruvienne », Amazon Watch, op. cit. [16] “ASEAN’s Indigenous Peoples”- Notre traduction, «Les peuples autochtones de l’ASEAN », Asia Indigenous Peoples’ Pact, International Work Group for Indigenous Affairs & Asian Forum for Human Rights and Development, 2010, pp. 5-6. [17] Ibid. [18] Carlos PEREZ-BRITO, “No data, no story : What the absence of Indigenous Peoples-specific data reveals”- Notre traduction, «Pas de données, pas d'histoire : Ce que révèle l'absence de données spécifiques aux peuples autochtones », World Bank blogs, 9 septembre 2021, < https://blogs.worldbank.org/opendata/ >

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