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La COP27

La COP27 sous le prisme de la guerre en Ukraine : la fin du silence relatif aux émissions militaires de gaz à effet de serre ?


Le 20 novembre dernier s’est achevée la 27ème Conférence des Parties[1] (COP27) à Charm El-Cheikh, en Egypte, avec un bilan décrié par les écologistes et les médias pour ses insuffisances, notamment en matière d’engagement de réduction des émissions de CO2[2]. Aussi, ce qui distingue réellement cette COP des précédentes est le contexte géopolitique dans lequel elle a eu lieu. Sous le prisme de la guerre en Ukraine, les enjeux sont d’autant plus importants que de nombreux pays sont dans l’obligation de trouver des alternatives aux hydrocarbures russes, point que les délégués ukrainiens ont particulièrement appuyé lors du sommet. Plus encore, c’est l’impact environnemental direct de la guerre qui a été soulevé par ces derniers. Svitlana Grynchuk, ministre adjointe de la protection de l’environnement, est même allée jusqu’à qualifier la situation d’ « écocide »[3].

Il est important de noter que l’enjeu des émissions militaires de gaz à effet de serre (GES) - et plus globalement la pollution générée par la guerre - n’avait jamais été réellement abordé lors d’un sommet mondial[4]. De plus, c’est la première fois qu’un pays en guerre calcule l’ampleur des dégâts climatiques causés spécifiquement par le conflit[5]. Pourtant, le secteur militaire représente entre 1 et 5% des émissions globales de GES[6], notamment à cause de l’industrie militaire, de l’aviation ou du déplacement des armées[7]. Une estimation très vague, qui peut s’expliquer par le fait que très peu de moyens et d’études indépendantes sont alloués à ce calcul. La raison est politique. Déjà en amont de la signature du Protocole de Kyoto en 1997, les Etats-Unis ont insisté pour que les émissions militaires ne soient pas prises en compte dans les rapports sur les GES, pour des raisons de « sécurité nationale »[8]. Et pour cause, la revue Nature, en s’appuyant sur des données de la Banque Mondiale, a estimé que « si le Département de la Défense des Etats-Unis était une nation, il serait le 54e plus gros émetteur global » de GES et que « les forces américaines auraient les émissions par habitant les plus élevées du monde »[9]. En outre, les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) utilisaient, en 2012 en Afghanistan, plus de 6,8 millions de litres de carburant par jour[10].

Dès lors, il est intéressant de constater qu’il a fallu attendre que le territoire européen soit touché par la guerre pour que la question des émissions militaires soit abordée, non seulement par l’Ukraine, mais également par quelques chercheurs[11]. De surcroît, la Russie est ici visée par les critiques et accusée d’écocide. Or, dans un contexte global de recrudescence des tensions entre la Russie et l’Occident, il est dans l’intérêt de ce dernier - y compris des Etats-Unis - de diaboliser le Kremlin sur la scène internationale afin de gagner le soutien d’un maximum d’Etats.

La prise en compte des émissions militaires dans les rapports nationaux[12] est désormais nécessaire afin de réfléchir à leur diminution. Les dénonciations de l’Ukraine pourraient certes être considérées comme une manière de rallier le soutien de la communauté internationale[13]. Il n’en reste que celles-ci pourraient être la source d’un changement d’envergure pour la législation environnementale internationale. Cela pourrait donner une impulsion au Projet de principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, adopté en 2022 par la Commission du droit international, en lui procurant une valeur contraignante[14]. D’autant que la recherche de méthodes de guerre moins polluantes - via l’utilisation de l’électricité par exemple[15] - serait également bénéfique pour l’efficacité des armées, tant les chaînes d’approvisionnement des énergies fossiles sont limitées et fragiles[16]. En outre, inclure la réduction des émissions de GES des armées dans le droit international humanitaire serait une avancée essentielle. Toutefois, cela ne serait pas suffisant car ces émissions sont également très importantes en temps de paix. Aussi, il est nécessaire que l’accord de Paris soit supplémenté par de nouvelles mesures exhortant les Etats à établir des rapports transparents sur les émissions des GES de leur secteur militaire, avec comme objectif commun de les réduire. Bien sûr, le moyen de résolution des conflits le plus écologique demeure la négociation pacifique.


Eva Delatour, Abigaëlle Guazzelli, Laura Laborie, Margot Pfrimmer, Candice Schmitz





Bibliographie


Articles scientifiques


Mohammad ALI RAJAEIFAR, Oliver BELCHER, Stuart PARKINSON, et al., “Decarbonize the military — mandate emissions reporting”, Nature, 02 novembre 2022.

Ben BARRY, Shiloh FETZEK, Caroline EMMET, “Green defence, the defence and military implications of climate change for Europe”, IISS, 2022.

Constantine SAMARAS, William NUTTALL, Morgan BAZILIAN, “Energy and the military: Convergence of security, economic, and environmental decision-making”, Energy Strategy Reviews, Vol. 26, Article 100409, 2019.


Articles de presse


Ben CRAMER, Bernard DREANO, « Le secteur militaire, toujours dispensé d’efforts pour le climat », Reporterre, 4 novembre 2021.


Oliver MILMAN, “Ukraine uses Cop27 to highlight environmental cost of Russia’s war”, The Guardian, 13 novembre 2022.

« La guerre en Ukraine met sur la table l’impact des armées sur le climat », The Times of Israël, 10 novembre 2022.


Rapports


de KLERK Lennard, SHMURAK Anatolii, GASSAN-ZADE Olga, et al., “Climate damage caused by Russia’s war in Ukraine”, Initiative on GHG accounting of war, 01 novembre 2022.

Axel MICHAELOWA, Tobias KOCH, Daniel CHARRO, et al., “Military and conflict-related emissions: Kyoto to Glasgow and beyond”, Perspectives Climate Group, Juin 2022.

NATO, “Overview of dismounted soldier systems”, NATO and Science and Technology Organization, 2018.


Projet d’article des Nations Unies


Nations Unies, Commission du droit international, Projet de principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, soixante-treizième session, 2022. Texte soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/77/10, paragraphe 58).


Ressources électroniques


Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, « COP15, COP27 : pourquoi deux COP ? », 2022.

Patrick PIRO, « Bilan de la COP 27 : Avancées et cartons rouges », CCFD-Terres Solidaires, 24 novembre 2022.


Stop Ecocide, “Activating a law to protect the Earth”, Juin 2021.




[1] Les COP « sont des conférences de haut niveau organisées par l’ONU qui regroupent les États, des organisations régionales et des acteurs non étatiques » avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique et ses conséquences. Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, « COP15, COP27 : pourquoi deux COP ? », 2022. <https://unric.org/fr/cop15-cop27-pourquoi-deux-cop/> Consulté le 04 décembre 2022. [2] Patrick PIRO, « Bilan de la COP 27 : Avancées et cartons rouges », CCFD-Terres Solidaires, 24 novembre 2022. <https://ccfd-terresolidaire.org/bilan-de-la-cop-27-avancees-et-cartons-rouges/> Consulté le 04 décembre 2022. [3] Oliver MILMAN, “Ukraine uses Cop27 to highlight environmental cost of Russia’s war”, The Guardian, 13 novembre 2022. <https://www.theguardian.com/world/2022/nov/13/ukraine-cop27-highlight-environmental-cost-russia-war> Consulté le 04 décembre 2022. Selon un groupe d'experts réunis par l'association Stop Ecocide, l'écocide peut se définir comme des « actes illégaux ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables », traduit de l’anglais. Stop Ecocide, “Activating a law to protect the Earth”, Juin 2021. <https://www.stopecocide.earth/> Consulté le 15 décembre 2022. [4] « La guerre en Ukraine met sur la table l’impact des armées sur le climat », The Times of Israël, 10 novembre 2022. <https://fr.timesofisrael.com/la-guerre-en-ukraine-met-sur-la-table-limpact-des-armees-sur-le-climat/> Consulté le 04 décembre 2022. [5] L’ “Initiative on GHG accounting of war”, projet créé deux mois après le début de la guerre en Ukraine, a établi un rapport nommé “Climate damage caused by Russia’s war in Ukraine” paru le 1er novembre 2022, étudiant l’impact environnemental du conflit. Lennard de KLERK, Anatolii SHMURAK, Olga GASSAN-ZADE, et al., “Climate damage caused by Russia’s war in Ukraine”, Initiative on GHG accounting of war, 01 Novembre 2022. <https://climatefocus.com/wp-content/uploads/2022/11/ClimateDamageinUkraine.pdf> Consulté le 04 décembre 2022. [6] Mohammad ALI RAJAEIFAR, Oliver BELCHER, Stuart PARKINSON, et al., “Decarbonize the military — mandate emissions reporting”, Nature, 02 novembre 2022. [7] Dans le secteur militaire, la fabrication des armes ainsi que l’aviation font partie des activités qui émettent le plus de GES. Un avion de combat peut consommer « plus de 110 litres de carburant par minute ». Ben CRAMER, Bernard DREANO, « Le secteur militaire, toujours dispensé d’efforts pour le climat », Reporterre, 4 novembre 2021. <https://reporterre.net/Le-secteur-militaire-toujours-dispense-d-efforts-pour-le-climat> Consulté le 15 décembre 2022. Les bases et bâtiments utilisés par les armées sur le territoire national ou à l’étranger sont également responsables d’une grande part des émissions (40% des émissions des GES du secteur militaire aux Etats-Unis). Le carburant utilisé lors du transport des armées et de leurs armes constitue aussi une part très importante de ces émissions. Axel MICHAELOWA, Tobias KOCH, Daniel CHARRO, et al., “Military and conflict-related emissions: Kyoto to Glasgow and beyond”, Perspectives Climate Group, Juin 2022, p. 4-5. <https://www.perspectives.cc/public/fileadmin/user_upload/military-emissions_final.pdf> Consulté le 15 décembre 2022. [8] Mohammad ALI RAJAEIFAR, Oliver BELCHER, Stuart PARKINSON, et al., “Decarbonize the military — mandate emissions reporting”, Op. cit. [9] Ibid. [10] Constantine SAMARAS, William NUTTALL, Morgan BAZILIAN, “Energy and the military: Convergence of security, economic, and environmental decision-making”, Energy Strategy Reviews, Vol. 26, Article 100409, 2019. <https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2211467X19301026> Consulté le 04 décembre 2022. [11] Voir par exemple Axel MICHAELOWA, Tobias KOCH, Daniel CHARRO, et al., “Military and conflict-related emissions: Kyoto to Glasgow and beyond”, Op. cit. ; Ben BARRY, Shiloh FETZEK, Caroline EMMET, “Green defence, the defence and military implications of climate change for Europe”, IISS, 2022. <https://www.iiss.org/blogs/research-paper/2022/02/green-defence> [12] L’Accord de Paris de 2015 permet également aux Etats de ne pas déclarer les émissions militaires afin de « protéger des informations commerciales et militaires confidentielles ». Axel MICHAELOWA, Tobias KOCH, Daniel CHARRO, et al., “Military and conflict-related emissions: Kyoto to Glasgow and beyond”, Op. cit. Consulté le 04 décembre 2022. [13] Oliver MILMAN, “Ukraine uses Cop27 to highlight environmental cost of Russia’s war”, Op. cit. [14] Si ce projet ne cite pas explicitement les émissions de GES, certains principes pourraient s’y appliquer, tels que le n°9 qui engage la responsabilité internationale d’un État en cas de dommages à l’environnement lors d’un conflit armé et l’oblige à réparer ceux-ci. Le n°20 impose aux puissances occupantes l’utilisation durable des ressources naturelles. Le n°21 impose la précaution quant aux potentiels « dommages significatifs à l’environnement » au-delà des frontières. Nations Unies, Commission du droit international, Projet de principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, soixante-treizième session, 2022. Texte soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/77/10, paragraphe 58). <https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/8_7_2022.pdf> Consulté le 04 décembre 2022. [15] NATO, “Overview of dismounted soldier systems”, NATO and Science and Technology Organization, 2018. <https://apps.dtic.mil/sti/pdfs/AD1064371.pdf> Consulté le 04 décembre 2022. [16] Axel MICHAELOWA, Tobias KOCH, Daniel CHARRO, et al., “Military and conflict-related emissions: Kyoto to Glasgow and beyond”, Op. cit.

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