L’élection de Roberta Metsola à la présidence du Parlement européen : un pas en arrière pour le dro
L’élection de Roberta Metsola à la présidence du Parlement européen : un pas en arrière pour le droit des femmes à disposer de leur corps ?
Après les Françaises Simone Veil - en poste de 1979 à 1982 - et Nicole Fontaine - de 1999 à 2002 - c’est au tour de Roberta Metsola d’être élue Présidente du Parlement européen, le 18 janvier 20221. Elle est donc la troisième femme à accéder à ce poste, une victoire pour la représentation des femmes au sein du monde politique. Pourtant, son élection est très controversée.
Élue à la majorité absolue dès le premier tour du scrutin, la députée maltaise semble à la fois progressiste et conservatrice. Bien qu’elle appartienne au groupe conservateur PPE (Parti Populaire Européen), Roberta Metsola tranche avec son groupe en ce qui concerne la question migratoire en défendant d’une main de fer le droit d’asile et en questionnant les actions de l’agence européenne chargée des frontières, FRONTEX2. Elle défend également avec fermeté la lutte contre les inégalités et les discriminations entre les sexes, particulièrement dans le domaine de la politique3. On pourrait donc penser que son élection à la présidence du Parlement européen constitue un symbole fort dans la lutte des femmes à faire valoir leurs droits.
Pourtant, une ombre au tableau persiste. Fidèle aux convictions de son pays d’origine, Malte, Roberta Metsola s’oppose systématiquement, depuis presque 10 ans, à toutes les résolutions européennes défendant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et la contraception5. Cette opposition ferme à l’IVG sur l’île de Malte s’explique, selon l’anthropologue Rachael Scicluna, par le fait que cette pratique « touche à de nombreuses notions chères aux Maltais : la moralité et donc la religion, ainsi que la famille »6. Dans ce pays où 95% de la population est catholique7, l’enfant a une place particulièrement sacrée et l’avortement est un crime au même titre que l’infanticide. Il est donc très difficile, voire impossible, de faire partie du monde politique maltais et de défendre l’IVG8.
Dans quelle mesure Roberta Metsola a-t-elle pu accéder à la présidence du Parlement européen alors même que ce dernier critique de manière récurrente la Pologne pour les atteintes portées au droit à l’avortement9 ? L’élection de Roberta Metsola est en réalité le fruit d’une entente entre les conservateurs du PPE, les socialistes et démocrates, ainsi que les libéraux de Renew, prévoyant le remplacement du Président David Sassoli par un membre du PPE10, Roberta Metsola en l'occurrence. En effet, depuis plusieurs années11, la droite, la gauche et le centre concluent des accords de partage de la présidence du Parlement à mi-mandat, leur permettant ainsi de présenter chacun leur tour un candidat qui doit, en principe, être soutenu par les partis de la coalition, s’assurant ainsi une victoire presque certaine. Ce système permet donc aux trois partis majoritaires de contourner le processus démocratique, ne laissant alors aucune chance aux autres partis, et particulièrement à l’extrême-droite - devenue plus menaçante grâce à la formation d’une coalition12 -d’accéder à la présidence. Ainsi, pour garantir à leur candidat d’assurer la présidence du Parlement européen, les membres de l’accord - pourtant majoritairement en faveur de l’IVG - ont voté pour Roberta Metsola, relayant ainsi la protection du droit des femmes à disposer de leur corps au second plan.
Des voix contestataires se sont tout de même élevées à la suite de sa victoire13. Bernard Guetta, eurodéputé pourtant membre du parti Renew, n’a pas voté pour la maltaise, regrettant « un très mauvais coup porté aux femmes, à l’image du Parlement de l’Union européenne »14. Face à ces contestations, Roberta Metsola a tenu à rassurer ses collègues, affirmant que son « devoir sera de représenter la position du Parlement », également en ce qui concerne les droits reproductifs et sexuels15.
Concrètement, même si la Présidente ne dispose pas de grands pouvoirs (la fonction étant essentiellement honorifique)16, et même si le Parlement européen n’est pas compétent pour traiter des questions qui concernent le droit à l’avortement, l’élection de Roberta Metsola est un symbole fort envoyé aux femmes de l’Union européenne, soulignant que leurs droits ne sont pas garantis, et restent secondaires par rapport aux intérêts politiques de chaque parti. C’est également un signal presque provocateur envoyé aux citoyennes et citoyens européens, favorables à 83% au droit à l’avortement17, traduisant l’échec du Parlement à être « la voix des citoyens européens »18. Comment est-ce que la Pologne, ou tout autre Etat-membre qui souhaiterait amputer les femmes des droits dont elles disposent, ne pourrait pas se sentir confortée dans son choix, lorsque la présidente de l’organe législatif de l’Union européenne, Roberta Metsola, s’applique depuis des années à lutter contre le droit des femmes à disposer de leur corps ? L’avortement est en réalité un droit de plus en plus fragilisé au sein de l’Union européenne. A titre d’exemple, en Slovaquie, le nombre d’avortements pratiqués légalement a chuté, passant de 15 300 en 2004 à 5 800 en 201919. Ces chiffres s’expliquent par plusieurs facteurs, tels que l’instauration de la clause de conscience en 2007 qui permet aux médecins de refuser de pratiquer l’IVG, les difficultés d’accès à la pilule abortive, ou encore par la pression sociale exercée sur les femmes souhaitant avorter, les poussant ainsi à subir l’intervention dans un pays voisin20.
A cet égard, l’élection de Roberta Metsola semble être le reflet de la tendance qui se dessine dans l’Union, soit une fragilisation des droits fondamentaux des citoyennes européennes.
Par Emma BLAIN, Antonin DELAUNE, Clémence GUILMIN, Louise POELAERT-ROCH, Tom SALEIX
REFERENCES
1 : Parlement européen, « Roberta Metsola élue Présidente du Parlement européen », Communiqué de presse, 18 janvier 2022, disponible ici
2 : S. HALIFA-LEGRAND, « La maltaise conservatrice et anti-IVG Roberta Metsola élue présidente du Parlement européen », L’OBS, 18 janvier 2022, disponible ici
3 : “ Empower All ”, Site internet officiel de Roberta Metsola, disponible ici
5 : « Qui est Roberta Metsola, la nouvelle présidente du Parlement européen, connue pour son opposition à l’avortement ? », France Info, 18 janvier 2022, disponible ici
6 : A. MICHEL « Le tabou de l’avortement toujours si puissant à Malte » TV5MONDE, 9 décembre 2018, disponible ici
7 : Ibid.
8 : Certains parlent même de « suicide politique ». Voir en ce sens : France 24 « L’IVG en danger au cœur de l’Union européenne – Malte », disponible ici
9 : Parlement européen, « Plus aucune Polonaise ne devrait mourir en raison de la loi sur l’avortement », Communiqué de presse, 11 novembre 2021, disponible ici
10 : J. QUATREMER, « Une anti-avortement à la tête du Parlement européen ? », Libération, 13 décembre 2021, disponible ici
11 : En 2014, les partis majoritaires avaient déjà formé un accord tel que celui de 2019. Voir en ce sens : « Les groupes PPE, S&D et ALDE du Parlement européen se sont mis d’accord pour former à eux trois une « majorité pro-européenne stable » », Europaforum Luxembourg, 26 juin 2014, disponible ici
12 : J. DANIEL « Parlement européen : le nouveau groupe d’extrême droite pourra-t-il peser ? », toute l’Europe, 22 juin 2019, disponible ici.
Egalement, l’extrême-droite avait pour projet la création d’une nouvelle coalition en ce mi-mandat, qui aurait fait d’elle la troisième force politique de l’Assemblée, évinçant ainsi Renew. Cependant, cette coalition n’a finalement pas vu le jour. Voir en ce sens : C. CHATIGNOUX, « Pourquoi l’extrême droite a échoué à unir ses forces au Parlement européen », Les Echos, 16 janvier 2022, disponible ici
13 : C. RETO, « Qui est Roberta Metsola, c
ette nouvelle présidente embarrassante pour l’Europe ? », Ouest-France, 18 janvier 2022, disponible ici
14 : M. SOLAL « Au Parlement européen, la victoire en trompe-l’œil de Stéphane Séjourné », l’Opinion, 19 janvier 2022, disponible ici
15 : « Roberta Metsola promet de respecter la ligne du Parlement européen même sur l’avortement », Le Point, 18 janvier 2022, disponible ici
16 : F. CAZENAVE, « Après le décès de David Sassoli, qui pourrait lui succéder à la présidence du Parlement européen ? », Ouest-France, 12 janvier 2022, disponible ici. Voir également : « Roberta Metsola, eurodéputée maltase conservatrice, élue présidente du Parlement européen », Le Monde, 18 janvier 2022, disponible ici
17 : D. REYNIE, « Libertés : l’épreuve du siècle », Fondapol, Janvier 2022, p. 77, disponible ici
18 : J-N TRONC, « Une présidente anti-IVG au Parlement européen ne peut qu’alimenter l’europhobie », L’OBS, 23 janvier 2022, disponible ici
19 : Q. BELLIS, « Le recul du droit à l’avortement en Europe », Observatoire européen de la Diversité, mars 2021, disponible ici.
Il est important de préciser que cette baisse d’avortements pratiqués légalement n’est pas la conséquence d’un meilleur accès à un moyen contraceptif moderne, en chute libre également. Voir en ce sens : Policy Department for Citizens’ Rights and Constitutional Affairs, “Access to abortion services for women in the EU - Slovakia” European Parliament, Octobre 2020, p. 10, disponible ici
20 : J-B. CHASTAND, « La Slovaquie se divise sur une nouvelle loi restreignant le recours à l’avortement », Le Monde, 15 juillet 2020, disponible ici.
BIBLIOGRAPHIE
I) ARTICLES JURIDIQUES
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 6
II) DOCUMENTATION OFFICIELLE NATIONALE ET INTERNATIONALE
Europaforum Luxembourg « Les groupes PPE, S&D et ALDE du Parlement européen se sont mis d’accord pour former à eux trois une « majorité pro-européenne stable » », 26 juin 2014, disponible ici
Parlement européen, Policy Department for Citizens’ Rights and Constitutional Affairs, “Access to abortion services for women in the EU - Slovakia”, Octobre 2020, p. 10, disponible ici
Parlement européen, « Résolution du Parlement européen du 16 septembre 2021 contenant des recommandations à la Commission sur l’identification de la violence fondée sur le genre comme un nouveau domaine de criminalité énuméré à l’article 83, paragraphe 1, du traité FUE », 16 septembre 2021, disponible ici
Parlement européen, « Plus aucune Polonaise ne devrait mourir en raison de la loi sur l’avortement », Communiqué de presse, 11 novembre 2021, disponible ici
Parlement européen, « Roberta Metsola élue Présidente du Parlement européen », Communiqué de presse, 18 janvier 2022, disponible ici
Parlement européen « Le président du Parlement européen - Fonctions »; disponible ici
Haut-Comissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme « Le Comité pour l'Élimination de la discrimination à l'égard des femmes examine le rapport de Malte », 12 octobre 2010, disponible ici
III) SOURCES ÉLECTRONIQUES
BELLIS Q., « Le recul du droit à l’avortement en Europe », Observatoire européen de la Diversité, mars 2021, disponible ici
CAZENAVE F., « Après le décès de David Sassoli, qui pourrait lui succéder à la présidence du Parlement européen ? », Ouest-France, 12 janvier 2022, disponible ici
CHASTAND J-B., « La Slovaquie se divise sur une nouvelle loi restreignant le recours à l’avortement », Le Monde, 15 juillet 2020, disponible ici.
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Le Monde, « Roberta Metsola, eurodéputée maltase conservatrice, élue présidente du Parlement européen », 18 janvier 2022, disponible ici
L’OBS, « UE : le retrait de Buttiglione est jugé insuffisant », 5 novembre 2004, disponible ici
Le Point, « Roberta Metsola premet de respecter la ligne du Parlement européen même sur l’avortement », 18 janvier 2022, disponible ici
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TRONC J-N., « Une présidente anti-IVG au Parlement européen ne peut qu’alimenter l’europhobie », L’OBS, 23 janvier 2022, disponible ici
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