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Expulsion systématique des migrants afghans aux frontières turques


Expulsion systématique des migrants afghans aux frontières turques : mise en valeur de la politique migratoire hostile de la Turquie et de l’Union européenne


Dans un rapport accablant publié le 18 novembre 2022, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch dénonce le refoulement systématique de dizaine de milliers de migrants afghans, orchestré par la Turquie[1]. Ces expulsions, assorties d’abus et de mauvais traitements, se font à sa frontière avec l’Iran[2] ou vers l’Afghanistan. Elles sont organisées en violation du droit international et interne turc, dans un contexte géopolitique controversé.


Malgré le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, qui ont instauré une politique répressive et meurtrière à l’encontre de la population et notamment des opposants au pouvoir[3], la Turquie continue d'empêcher les migrants afghans d’enregistrer une demande de protection internationale et les contraint à signer un formulaire de rapatriement volontaire[4]. Cette politique constitue une violation du droit international des réfugiés[5]. En effet, elle porte atteinte au principe coutumier de non-refoulement[6], inscrit à l’article 33 de la Convention de 1951 relative aux réfugiés, qui interdit leur expulsion vers des territoires où leur vie et leur liberté seraient menacées. Au niveau régional, la Turquie est membre du Conseil de l’Europe et peut se voir condamner par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment sur la base de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme[7]. En effet, la CEDH a déjà eu l’occasion de rappeler l’interdiction des expulsions systématiques, sans « prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées »[8].


Si la Turquie a effectivement ratifié la Convention de 1951 et son Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, elle y a apposé une réserve restreignant géographiquement leur champ d’application aux seules personnes déplacées en raison d'événements survenus en Europe[9]. Cependant, la Turquie a tout de même consenti à honorer le principe de non-refoulement par l’adoption de lois nationales[10]. Une protection temporaire sous le statut de « réfugié conditionnel »[11] est accordée aux demandeurs d’asile non-européens en attendant que le Haut-Commissariat aux Réfugiés évalue leur dossier[12]. Or, en expulsant de manière systématique et arbitraire les demandeurs d'asile afghans, la Turquie ne respecte pas ses obligations à leur égard, allant à l'encontre de sa propre législation. Au regard de ces exactions, sa qualité de « pays tiers sûr »[13] aux fins de l’examen des demandes de protection semble contestée et remettre en cause son partenariat avec l’Union européenne (UE).


En effet, cette atteinte au droit des réfugiés s’établit dans un contexte géopolitique régional discuté. La position stratégique de la Turquie en fait une porte d’entrée sur l’Europe. Ainsi, la politique migratoire du président turc Recep Tayyip Erdoğan est un levier qui lui permet de négocier avec l’UE. En 2016, un Pacte migratoire[14] a été conclu entre l’UE et Ankara, afin d’éviter que de nouvelles routes migratoires s’ouvrent au départ de la Turquie vers l’Union. Cet accord contesté - mais renouvelé en 2021 - prévoit que la Turquie accueille et s’assure que les réfugiés de toutes nationalités restent sur son territoire, en contrepartie d’un soutien financier important[15]. L’argent en provenance de l’UE n’est pas versé directement à l’État turc mais il est investi dans des projets pilotés par la Commission européenne[16] en lien avec la politique migratoire, comme des centres de rétention des réfugiés où sont commis des expulsions illégales et des mauvais traitements[17]. Cela constitue pourtant une violation fondamentale des normes internationales de protection des droits de l’homme[18] sur lesquelles reposent les valeurs de l’UE. En participant au financement de ces infrastructures et indirectement au refoulement des migrants afghans par la négociation avec un État dont la sécurité est remise en cause, l’UE se rend potentiellement complice de ces violations[19].


Ainsi, la politique migratoire répressive, contraire tant au droit international qu’au droit interne de la Turquie, s’inscrit dans une stratégie diplomatique controversée avec l’UE, dont le soutien financier est contraire à ses politiques promouvant la protection des droits humains. Cette situation est cependant représentative de l’hostilité croissante envers les réfugiés partout dans le monde, tout au moins à l’égard de ceux ne provenant pas du continent européen ou n’ayant pas une culture similaire[20].


Par Marine BOULLAND, Charlotte COUET-WOLFE, Doriane HUET, Julia MAZZOTTA, Émilie SCHOLLIER. BIBLIOGRAPHIE Sources primaires Traités internationaux Convention européenne des droits de l’homme, 1950. Déclaration universelle des droit de l’homme, 1948.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.


Droit régional


Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2000.


Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.


Pacte migratoire UE-Turquie, 2016.


Législations nationales


Loi turque n° 6458 sur les étrangers et la protection internationale, 2013.


République de Turquie, Code sur les étrangers et la protection internationale, article 62.


Jurisprudence


Cour européenne des droits de l’homme, Čonka c. Belgique, 5 février 2022.



Sources secondaires


Ouvrages


Guy S. GOODWIN et Jane MCADAM, The refugee in international law, Oxford: Oxford University Press, 3ème éd., 2007, 786 p.


Articles scientifiques


Mathilde BLEZAT, « Turquie : le HCR contre les réfugiés ? », Plein droit, Vol. 90, No. 3, 2011, pp. 17-20.


Nils COLEMAN, “Non-Refoulement Revised Renewed Review of the Status of the Principle of Non-Refoulement as Customary International Law”, European Journal of Migration and Law, Vol. 5, No. 1, 2003, pp. 23-68.


Merly H.MAGBA, « Quand l’Europe se déleste sur la Turquie », Revue Projet, Vol. 358, No. 3, 2017, pp. 38-43.


Rapport d’ONG


“No One Asked Me Why I Left Afghanistan”, Human Rights Watch, novembre 2022.


Communiqué de presse


Union européenne, Conseil européen, « Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016 », 18 mars 2016.


Articles de presse et sites internet

Raphael KAHANE, « Turquie : le président Erdogan sur tous les fronts », France 24, 19 septembre 2022. Tilman RODENHÄUSER, “The principle of non-refoulement in the migration context: 5 key points”, Humanitarian Law and Policy, ICRC blog, 30 mars 2018. « Afghanistan : l’ONU préoccupée par l’arrestation d’activistes dont Zarifa Yaqobi à Kaboul », ONU infos, 4 novembre 2022.

“Iran Border Police Fire At Afghan Refugees To Push Them Back”, Iran International, 31 août 2022.

« Iran/Turquie. Des Afghan·e·s fuyant leur pays ont fait l’objet de renvois illégaux après avoir essuyé des tirs aux frontières », Amnesty international, 31 août 2022. « Le « deux poids deux mesures » occidental en matière d’asile politique », OrientXXI, 31 octobre 2022.


[1] “No One Asked Me Why I Left Afghanistan”, Human Rights Watch, novembre 2022. [2] “Iran Border Police Fire At Afghan Refugees To Push Them Back”, Iran International, 31 août 2022. <https://www.iranintl.com/en/202208317328>. Consulté le 9 décembre 2022. [3] « Afghanistan : l’ONU préoccupée par l’arrestation d’activistes dont Zarifa Yaqobi à Kaboul », ONU infos, 4 novembre 2022. <https://news.un.org/fr/story/2022/11/1129492>. Consulté le 21 novembre 2022. Voir aussi “No One Asked Me Why I Left Afghanistan”, Human Rights Watch, Op. cit., p. 16-19. [4] “No One Asked Me Why I Left Afghanistan”, Human Rights Watch, Op. cit., p.3. [5] Guy S. GOODWIN et Jane MCADAM, The refugee in international law, Oxford: Oxford University Press, 3ème éd., 2007, 786 p. [6] Nils COLEMAN, “Non-Refoulement Revised Renewed Review of the Status of the Principle of Non-Refoulement as Customary International Law”, European Journal of Migration and Law, Vol. 5, No. 1, 2003, pp. 23-68. Voir aussi Tilman RODENHÄUSER, “The principle of non-refoulement in the migration context: 5 key points”, Humanitarian Law and Policy, ICRC blog, 30 mars 2018. <https://blogs.icrc.org/law-and-policy/2018/03/30/principle-of-non-refoulement-migration-context-5-key-points/>. Consulté le 25 novembre 2022. [7] Droit à la liberté et à la sûreté. [8] Cour EDH, Čonka c. Belgique, 5 février 2022, req. no 51564/99, §63. [9] Mathilde BLEZAT, « Turquie : le HCR contre les réfugiés ? », Plein droit, Vol. 90, No. 3, 2011, pp. 17-20. <https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2011-3-page-17.htm>. Consulté le 9 décembre 2022. [10] Loi turque n° 6458 sur les étrangers et la protection internationale, article 4. [11] République de Turquie, Code sur les étrangers et la protection internationale, article 62. [12] Merly H.MAGBA, « Quand l’Europe se déleste sur la Turquie », Revue Projet, Vol. 358, No. 3, 2017, pp. 38-43. <https://www.cairn.info/revue-projet-2017-3-page-38.htm#re7no7>. Consulté le 9 décembre 2022. [13] Selon l’article 38 de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. [14] Pacte migratoire UE-Turquie du 18 mars 2016. [15] Union européenne, Conseil européen, « Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016 », 18 mars 2016. [16] Raphael KAHANE, « Turquie : le président Erdogan sur tous les fronts », France 24, 19 septembre 2022. <https://www.france24.com/fr/émissions/le-monde-dans-tous-ses-états/20220919-turquie-le-président-erdogan-sur-tous-les-fronts>. Consulté le 25 novembre 2022. [17] « Iran/Turquie. Des Afghan·e·s fuyant leur pays ont fait l’objet de renvois illégaux après avoir essuyé des tirs aux frontières », Amnesty international, 31 août 2022. <https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/08/iran-turkey-fleeing-afghans-unlawfully-returned-after-coming-under-fire-at-borders/>. Consulté le 25 novembre 2022. Onze Afghan·e·s illégalement renvoyés par les autorités turques avaient été détenus dans un des six centres de rétention de Turquie, dont la construction a été en partie financée par l’UE. [18] Déclaration universelle des droits de l’homme, article 5. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 7. Convention européenne des droits de l’homme, article 3. Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, article 4. [19] « Iran/Turquie. Des Afghan·e·s fuyant leur pays ont fait l’objet de renvois illégaux après avoir essuyé des tirs aux frontières », Amnesty international, Op. cit. [20] « Le « deux poids deux mesures » occidental en matière d’asile politique », OrientXXI, 31 octobre 2022. <https://orientxxi.info/magazine/articles-en-italien/le-deux-poids-deux-mesures-occidental-en-matiere-d-asile-politique,5969>. Consulté le 25 novembre 2022.

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